L'époux fautif garde-t-il son droit à la prestation compensatoire ?

Divorce pour faute Prestation compensatoire

La prestation compensatoire est la somme versée par l’un des époux (le débiteur) à l’autre (le créancier) en vue de compenser une disparité dans les conditions de vie de chacun des époux découlant du divorce.

Le Code civil appréhende cette notion à l’article 270 et c’est au juge qu’il appartient d’en décider du versement et du montant.

La question s’est donc posée de savoir si le versement de cette somme, considérée par certains comme un privilège de la rupture envers l’un des époux, pouvait être refusé en raison des fautes commises. Plus précisément, lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs d’un époux, celui-ci a-t-il quand même le droit au versement d’une prestation compensatoire ?

 

1. Étude de l’article 270 du Code civil : équité et circonstances particulières de la rupture

 

L'article 270 du Code civil est rédigé comme suit :

« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. »

Il résulte de la rédaction de cet article que la notion d’équité est une notion centrale permettant d'apprécier la nécessité de verser ou non une prestation compensatoire.

Lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande la prestation compensatoire, l’équité doit être prise en compte dans les circonstances particulières de la rupture.

La circulaire du 23 novembre 2004 (Circulaire de présentation de la loi relative au divorce, du décret portant réforme de la procédure en matière familiale et du décret fixant les modalités de substitution d’un capital à une rente allouée au titre de la prestation compensatoire) rappelle qu'il résulte des débats parlementaires que le législateur a souhaité que la notion de « circonstances particulières de la rupture » ne recouvre que les situations les plus graves afin de ne pas réintroduire le lien entre la faute et la prestation compensatoire dont l'effet serait d'amoindrir la réforme.

Ainsi, à titre d’exemple, le juge a rejeté la demande de prestation compensatoire formée par le mari lorsque la rupture avait pour origine le comportement délictueux du mari qui a donné lieu à sa condamnation pénale du chef des violences exercées sur son épouse, qu'il savait vulnérable en raison de son âge (Cour d'appel Toulouse Chambre 1, section 2, 2 Décembre 2008, N° 916, 07/04181).

De même, les juges n’ont pas accordé le versement d’une prestation compensatoire pour le cas d'une épouse qui, s'étant convertie à la religion catholique, a rejeté son mari, ses enfants, sa famille pour suivre son "guide" et se consacrer désormais à une vie exclusivement spirituelle (Cour d'appel MONTPELLIER Chambre 1, section C, 5 Février 2008).

 

2. Exemples de fixation de prestation compensatoire alors que le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux créancier

 

  • Civ. 1ère, 12 septembre 2012 (N° 11-12.140)

Situation : Le divorce a été prononcé aux torts exclusifs de la femme qui a quitté le domicile conjugal à deux reprises et eu une relation extraconjugale.

Solution des juges : « Attendu qu'en retenant que si l’époux ressent vivement les fautes commises par son épouse, l'équité ne commande cependant pas de le dispenser du versement d'une prestation compensatoire, la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions de l'article 270, alinéa 3, du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ».

 

  • CA Paris, 15 janvier 2009 (N° 07/21971)

Situation : Le divorce a été prononcé aux torts exclusifs de la femme. Le mari établit les infidélités de la femme, non contestées pour deux d'entre elles, par la production de rapports d'un agent privé de recherches et une attestation de la femme de ménage du couple. Le comportement agressif et désagréable en public de la femme à l'encontre du mari, et le fait qu'elle lui a interdit l'entrée de leur résidence dans le sud de la France est également démontré.

La femme, qui était mannequin lors de son mariage, ne dispose d'aucune formation professionnelle et indique être sans ressources à l'exception de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours. Les revenus du mari sont constitués pour l'essentiel de dépôts en compte courant d'associés créditeurs dans des structures placées en redressement judiciaires.

Solution des juges : « Sur l'application de l'article 270 dernier alinéa du code civil, […] ; Considérant que le divorce est certes prononcé aux torts exclusifs de l’épouse mais que les conditions banales de la rupture, un abandon du conjoint bafoué, ne sauraient en équité priver la fautive d'une prestation compensatoire si les conditions d'attribution en sont par ailleurs remplies ».

 

  • CA Toulouse, 12 octobre 2009 (N° 929, 08/04506)

Situation: Le divorce est prononcé aux torts exclusifs de la femme, dès lors que celle-ci a commis un manquement grave et renouvelé des devoirs et obligations du mariage. En effet, elle s'est d'abord inscrite sur un site de rencontre pendant le mariage. Ensuite, lors d'un dépôt de plainte contre son mari, elle a déclaré aux enquêteurs ne plus aimer ce dernier et laisser la situation se détériorer depuis des mois. Elle leur a également signalé entretenir une relation adultère sérieuse.

Solution des juges : « Attendu que Monsieur a souffert de la désaffection de son épouse de son infidélité alors qu'il cherchait à sauver son foyer, que ces préjudices ont été pris en compte dans l'allocation des dommages et intérêts,

Attendu que le fait qu'en mars 2007 Madame ait déposé plainte pour agression sexuelle contre son mari et que cette plainte ait été classée sans suite, l'infraction étant insuffisamment caractérisée, ne suffit pas en l'état des éléments à caractériser de sa part une attitude procédurière excessive,

Attendu qu'il n'est pas justifié de ce que le comportement et les choix de Madame auraient entrainé pour Monsieur des conséquences qui par leur ampleur ou leur caractère public aurait largement dépassé la sphère familiale,

Attendu qu'en conséquence ni l'équité ni les critères prévus à l'article 271 du Code Civil ni les circonstances particulières de la rupture ne justifient qu'il soit refusé à Madame le bénéfice d'une prestation compensatoire ».

 

Ces solutions témoignent de l’exception voulue par le législateur. L’attitude répréhensible du conjoint demandeur pendant le mariage ne saurait suffire en tant que telle à justifier le refus d’attribuer une prestation compensatoire.

En somme et très souvent, le versement d’une prestation compensatoire sera décidé par le juge et ce, quand bien même l’époux qui en bénéficie serait l’époux fautif.

Bien entendu, chaque situation est particulière. Aussi, n'hésitez pas à contacter le cabinet JADDE Avocats pour rencontrer l'un de nos avocats en droit de la famille.

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