
Les époux ont l’un envers l’autre des obligations particulières attachées au lien matrimonial.
En particulier, les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance (article 212 du Code civil) mais aussi une obligation de communauté de vie (article 215 du Code civil).
Le divorce pour faute peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune (article 242 du Code civil).
Par une décision du 17 septembre 2020, la Cour de cassation, a confirmé le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la femme qui a refusé pendant plusieurs années des relations intimes avec son mari (Civ. 1ère, 17 sept. 2021, N°20-10564).
De manière inédite, suite à cette décision, la Cour de cassation a été mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme en raison de ce divorce prononcé aux torts exclusifs d’une épouse qui refusait d’avoir des relations sexuelles avec son mari.
La Cour européenne a rendu sa décision : la France a été condamnée dans une décision du 23 janvier 2025.
Le non-respect du devoir conjugal est-il vraiment une cause de divorce ?
Le refus de respect du devoir conjugal constitutif d’une faute dans les obligations du mariage
Le « devoir conjugal » n’est pas expressément indiqué dans le Code civil.
La jurisprudence a cependant délimité les contours de ce devoir en le rattachant parfois à l’obligation de communauté de vie (entendue comme « communauté de toit » et « communauté de lit ») ou encore à l’obligation de fidélité (entendue dans son aspect positif comme l’obligation pour les époux d’accomplir leur devoir conjugal).
Ainsi, récemment, dans une question gouvernementale posée au Garde des Sceaux, ce dernier rappelait que :
« il est de jurisprudence constante que la communauté de vie ne se limite pas au devoir de cohabitation et implique la consommation du mariage »
Ainsi, le refus unilatéral d’avoir des relations physiques avec son conjoint a pu être retenu comme une cause du divorce comme cela a été récemment rappelé par la Cour d’appel de Versailles dans une décision du 7 novembre 2019 dont la décision a été confirmée par la Cour de cassation (Civ. 1ère, 17 sept. 2021, N°20-10564).
Cependant, il existe des circonstances dans lesquelles la faute ne sera pas retenue.
Les motifs légitimes permettant d’excuser la faute
La faute ne sera retenue que si la preuve matérielle mais aussi si la preuve de l’imputabilité de la faute sont apportées.
Ainsi, la preuve matérielle de l’absence de devoir peut être apportée par les aveux même du conjoint ou encore par un certificat médical. Cependant, le simple fait de faire chambre à part n’est pas suffisant pour prouver l’absence de relations intimes (Civ. 2ème, 19 janv. 1994, Juris-Data, n°000032).
Concernant l’imputabilité, cela consiste à prouver que « l'abstention du devoir conjugal ne revêt un caractère injurieux pour l'autre conjoint que si elle est volontaire et persistante et marque le mépris ou l'indifférence pour ce dernier » (CA Aix-en-Provence, 24 mai 1989, Juris-Data, n°044008). Autrement dit, il existe des motifs légitimes pour exclure la faute :
- L’adultère ;
- L’âge ;
- La santé ;
- La violence ;
- L’excès : Un époux qui adopte « un comportement allant de la tendresse à l'indécence et à la bestialité la plus raffinée » ne peut donc « exiger à toute heure des rapports fréquents et contre nature » de son épouse au risque « d'ébranler sa santé » (TGI Dieppe, 25 juin 1970, JCP 1970, II, n° 16545).
Enfin, comme rappelé par le Garde des Sceaux, il est important de relever si le non-respect du devoir conjugal peut être constitutif d’une faute dans le divorce donc sur le plan civil, le viol entre époux est quant à lui puni sur le plan pénal de sorte qu’il n’est pas possible de contraindre son conjoint à avoir des relations sexuelles :
« Pour mémoire, l'article 222-24, 11° du code pénal punit de vingt ans de réclusion criminelle le viol lorsqu'il est commis par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. En définitive, le devoir conjugal ne permet en aucune façon d'écarter le consentement et d'imposer des relations sexuelles dans le couple ».
La décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 23 janvier 2025
Dans cette décision, la Cour considère que le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante pour non-respect du devoir conjugal emporte violation du droit au respect de la vie privée.
La Cour constate que le « devoir conjugal », tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire, ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles. Aux yeux de la Cour, le consentement au mariage ne saurait emporter un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Le consentement doit au contraire traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances.
« La Cour ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Or, la Cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines »
La Cour en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.
Dans la présente affaire, la Cour n’identifie aucune raison propre à justifier l’ingérence des pouvoirs publics dans le champ de la sexualité. Elle relève que le conjoint de la requérante avait la possibilité de demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal à titre principal et non à titre subsidiaire comme il le fit en l’espèce. La Cour en conclut que la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu.
Eu égard à cette décision, il est donc possible que la jurisprudence française et peut être les textes internes évoluent en conséquence pour permettre un respect effectif des droits fondamentaux.
Bien entendu, chaque situation est particulière. Pour avoir plus de renseignements, n’hésitez pas à vous rapprocher de l'un des avocats en droit de la famille du cabinet JADDE Avocats.